Ce ne sont pas les idées qui me manquent. Je pourrais écrire un article par jour, si j’en éprouvais le temps. Mais écrire ici réclame un engagement que je n’ai pas. Je me suis posée la question suivante : est-ce que cela vaut-il le coup, d’écrire ? Faut-il vraiment que je note toutes mes idées ? Pourquoi ne puis-je pas rester allongée sur les pierres à me demander pourquoi les nuages ne sont-ils pas bleus ? Mais c’est une chose que j’avais largement sous-estimé : l’humain doit faire. Et c’est une drôle de sensation d’être pris comme ça par ce besoin. Le besoin de faire. D’exhausser. J’ai cherché partout autour de moi de quoi faire. J’ai cuisiné —je vous en reparlerai— j’ai discuté du problème avec François —qui s’est empressé, dès mon plat avalé, d’aller grimper— et j’ai soudain pris conscience que si j’écrivais, c’est principalement parce que je ne savais faire que cela.
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Je vous donne la recette à la fin de l’article :-) |
Alors me voilà à écrire ici, en attendant de savoir écrire ailleurs. Je voudrais si fort savoir faire autre chose. J’apprends. Mais rien ne vient. C’est agaçant. Ecrire, comme cela se fait-ce ? Je n’ai jamais appris et pourtant je n’ai pas ce sentiment rageant d’être insatisfaite de mes faits.
Il y a eu la mort, tout d’abord, et encore pour nous puisque les deux mamies de l’Explorateur nous ont quitté l’une après l’autre, à quelques jours seulement d’intervalle. Mamyvette que je croyais à plusieurs reprises pouvoir revoir sur sa chaise, à discuter avec les cousines ; et Mamie Thérèse que nous avions vu la veille de son grand départ et qui, le jour de son enterrement, m’a parue déjà si loin de nous. L’une était pressée de s’envoler loin de la Terre et des peurs qui la harcelaient, tandis que l’autre nous chatouillait encore la conscience, quelques jours même après qu’elle soit (soit disant) partie. C’est curieux comme chacune a choisi sa mort, si différente l’une de l’autre.
Bien souvent je pense à ma propre Mamie, qui est installée en maison de retraite depuis trois mois déjà, depuis que ses jambes ne veulent plus la porter. Il est difficile pour moi de la savoir là-bas… Et je m’en veux bien souvent de ne pas avoir changé mes projets, peut-être mis ma vie entre parenthèse, pour lui épargner cet endroit si déprimant. Ma Mamie n’a pas la philosophie de ce genre de lieu. Les jeux de société, les activités manuelles, tout ça… La colonie de vacances, c’est pas son affaire. Ma Mamie se retient de déprimer, juste par amour pour ses enfants. Entrer dans cette maison de retraite, c’est faire un code pour passer la porte, être surpris à l’entrée par l’odeur de l’urine, entendre dans le couloir une femme supplier toute la journée « Aidez moi… S’il vous plait, aidez moi… » comme le cri de toutes les personnes qui, comme ma Mamie, seraient capables de tout faire pour être ailleurs. Cette femme qui supplie, je ne comprends pas que personne ne va l’aider. Je fais mine, comme chacun, de ne pas l’entendre alors que depuis trois mois au moins elle chuchote sans arrêt en disant cela « Aidez moi… S’il vous plait, aidez moi… ».
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Ne plus dire « C’est fini » à la loutre qui s’empresse de vous rappeler que non,
Mamie Coeur et Mamie Poule ne sont pas malades. |
Je me demande si j’aurais le droit moi aussi de vieillir. Mais il y a la vieillesse, ses vieilleries (les douleurs, le corps qui ralentie), et surtout cette chose affreuse qui est de s’éloigner petit à petit de soi-même et de ceux qu'on a aimés. Je ne peux plus rien faire, me dit ma Mamie, je ne peux plus le dire à personne, et je n’ai plus l’esprit à chercher ailleurs que ce que j’étais. Et je vois dans ses yeux, faute de pouvoir le vivre avec mes cellules trop jeunes, toute la tristesse que cela procure. Je lui caresse le bras, je lui souris, et je l’écoute encore et encore car il n’y a plus que cela qui la soulage de toutes ses douleurs.
La solitude me touche, car elle me rappelle une parcelle non négligeable de ma personnalité. Je ne sais pas vraiment si je suis si différente des uns ou des autres mais je remarque bien souvent que lorsque les gens cherchent à me connaitre, ils ne vont jamais là où je suis. Il y a quelques jours, un ami de François me posait quelques questions, pour avoir des nouvelles, pour me faire la discussion, par gentillesse, c’est certain, et j’ai apprécié son geste. Même si, même si tout ce qu’il me disait, ou me demandait, était si loin de moi que je ne savais pas quoi lui dire en retour. J’aurais peut-être dû faire des grands signes, pour attirer son attention, « Coucou, je suis là ! Regarde à gauche ! A gauche je-te-dis ! » mais même cela, je ne savais pas comment m’y prendre. Alors nous sommes restés ainsi, côte à côte, lui me regardant là où je n’étais pas, lui caché derrière ses barrières de questions fusant vers l’eau —nous étions au bord de l’Allier— et la solitude entre nous. Qui me tenait la main.
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Ce n’est pourtant pas le bazar dans ma tête, on devrait pouvoir m’y trouver… |
Je pensais aux centrales nucléaires, et la peur la terreur contre laquelle je lutte, de ces centrales nucléaires tellement folles et nous tellement fous de les laisser ronronner comme ça autour de nous… Et ces déchets qu’on laisse comme ça, pour un nombre d’années non négligeables —veuillez accepter mes euphémismes, je ne veux pas déclencher cette panique en écrivant pour vous— et ces centrales qu’on construit encore même en France, je suis dégoutée. Enfin, je pensais à cela et je me disais : la folie, je n’en suis pas si loin. A combien en suis-je ? Et je disais à François : « La folie me taraude. » Ce n’est pas la première fois que je lui dis, mais cette fois il m’a répondu : « Je sais Céline, je sais que tu as en toi une forte propension à la folie… » Cela fait drôle de l’entendre dire. Cela devient vrai. Mais tout le mal que cela lui ferait, j’ai raison de me retenir encore. Donc, pour les centrales je ne me battrais pas, je n’en serais pas capable, mais si vous pouviez faire un geste… pour moi ?
Nous avons été au zoo de Beauval. C’est un zoo magnifique, même si je suis toujours réticente à voir ainsi les animaux. Ils n’ont plus l’odeur de l’état sauvage. Il leur manque cette aura et je reste mal à l’aise. Nous y avons cependant vu des spectacles incroyables et j’ai pleuré. J’ai pleuré de voir l’envol des oiseaux, les aras, qui en groupe pair toujours, s’envolaient au dessus des arbres. Les chouettes, sans bruit, nous aurions pu même ne pas les voir. Les vautours, si grands, si majestueux. J’ai pleuré de voir les otaries et leurs dresseurs si intensément dans le jeu. J’ai pensé à Jedi et toute l’énergie qu’il met à jouer avec moi pour obtenir un bâton de bois… J’ai pleuré de voir tant d’espèce en voie d’extinction, voire de disparition. Et je savais qu’il y en avait tant encore que je ne verrais jamais dans un zoo. Les insectes. Les animaux marins. Et j’ai pleuré de voir le panda.
Alors pour le panda, il faut que j’écrive un paragraphe rien que pour lui. Le panda, c’est de la folie. Imaginez un carnivore bien têtu qui n’a décidé de se nourrir que de bambou —les plus logiques me diront : qu’il n’est donc plus carnivore mais bambouvore, et je leurs répondrais c’est exact mais… La digestion n’étant pas facile, il faut toujours qu’il mange une grande quantité de bambous. C’est une chance pour lui : le bambou pousse vite, et toute l’année. Sauf environ tous les dix ans, quand il fleurit et meurt… Là, le panda ce gros malin doit migrer. Mais ce n’est pas tout : madame panda n’est fertile que trois jours par an ! On peut difficilement faire mieux niveau vulnérabilité. Un, je ne mange qu’un seul aliment et deux j’ai peu de chance de me reproduire.
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Pas facile de prendre en photo ce grand panda qui se cache… |
La nature n’est pas bien faite : elle est magnifique ! C’est cela qui m’a touché pendant la visite du parc de Beauval. La gratitude. La gratitude me fait pleurer.
Et puis nous avons visité la jolie ville de Sablé et son petit air marin d’avant l’heure. Nous avons constaté que l’adorable parlait avec l’accent traînant et particulièrement énervant des bébés : « Mamaaaaan… Je peux prendre de l’eaaaauuuu… ? » Mais d’où cela lui vient-il ?? Vous avez eu ça avec vos enfants, vous aussi ? Ca a duré ?
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On s’y croirait déjà, non, à l’Océan ? |
J’ai coupé les cheveux de l’Explorateur. Ses dreads ne rentraient plus dans le casque, il avait chaud, elles n’étaient pas faciles à coiffer… alors, j’ai pu tout couper ! Le voilà avec des cheveux courts à se rappeler toutes les deux minutes « A oui, je n’ai plus les cheveux longs… Mes doigts tripotes le vide… » et oui, quand on a des tics ^^ Je le trouve tellement beau en ce moment. Sa peau devient bronze sous le soleil. Ses muscles se refont sur les pierres des falaises. Son sourire devient franc et ses yeux gagnent en sérénité.
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On pourrait croire à une pub pour parfum. |
Et puis j’ai revu cette fleur que j’avais tant tenté de couper un jour où j’étais trop petite pour avoir des souvenirs. Cela faisait longtemps que je la cherchais. Une grande fleur bleue, avec des épines (j’avais essayé de me protéger les mains avec du papier toilette pour la prendre), et dont la tige est très épaisse. J’ai cru longtemps l’avoir rêvée, même si je la cherchais mine de rien continuellement. Et je l’ai revue aujourd’hui même. Donc, je me souvenais, je n’étais pas trop jeune pour cela ! Et le moro-sphinx que j’ai cru avoir manqué est quand même sur la photo ! Que de surprise ! Quelle magie est-ce d’attraper, d’écrire, de décrire ce que l’on ne peut pas voir, ce que l’on ne connait pas, comme cette petite toile d’araignée dévoilée par l’objectif.
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Beau petit colibri sur une fleur sortie de mes rêves d’enfance. |
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Je suis contente des photos que j’ai réussies à composer ! |
Il faudrait aussi que je vous parle du plaisir d’être torse-nu parfois, sous la chaleur, de ne pas sentir cette pression, que tout est sexuel chez la femme. Il faudrait que je vous parle du plaisir de rencontrer d’autres personnes, avec l’esprit large, capable de vous voir même si vous n’êtes pas là où vous semblez être. Il faudrait que je vous parle du plaisir de voir les chiens jouer librement. Il faudrait que je vous parle du plaisir de laisser ma fille marcher devant elle, sur un chemin qui n’appartient qu’à elle, tellement capable de tout, en fait, déjà.
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Seins nus, s’épanouir comme cette marguerite qui la tige coupée baigne dans l’eau. |
Il faudrait que je vous parle du plaisir de se sentir libre, de toucher du bout des doigts la plénitude. C’était presque un devoir, ça devient notre vraie vie, même si nous n’avons pas encore tout.
Et ma soupe, pour finir, cette soupe que j’ai faite pour faire, pour exister en tant qu’humaine mais ce plat si vite avalé qu’il a fallu que j’écrive… Elle n’est pas particulièrement originale, mais elle mérite d’être largement diffusée, avec toutes les variantes que tous veulent bien y mettre !
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Pas facile de faire de belles photos culinaires… |
Il faut découper deux carottes en petits dés et y ajouter deux oignons rouges émincés.
Faire fristouiller tout cela dans deux cuillères à soupe d’huile de coco.
Vider dans le mélange une belle boite de pois chiche, ajouter les épices.
Pour les épices, il faut du parfumé et du chaud. Je mets un mélange qu’on m’a ramené des Indes avec du paprika, de l’ail semoule et de la coriandre moulue.
Vider une seconde boite, de tomates concassées cette fois-ci.
On peut ajouter un peu d’eau, un petit bouillon pour ceux qui ne craignent pas les exhausteurs de goût.
Et puis, c’est très important : une petite botte de coriandre fraîche coupée grossièrement.
Le résultat est grandiose, mais il ne vous retiendra pas d’écrire ensuite, c’est évident. Vous pouvez défouler votre besoin de créer dans les commentaires sous cet article, il n’y a aucun soucis. :-)