Depuis qu'il vit avec nous, ça a toujours été comme ça. On ne peut pas faire quelque chose sans qu'il approche son museau du placard dans lequel on farfouille, du stylo avec lequel on écrit, du gâteau qu'on est en train de manger. Il est curieux, il veut tout faire avec nous et surtout : il ne veut jamais être seul ! C'est une chance pour lui, je travaille à la maison. Seul, il ne l'est quasiment jamais. En peu de temps il a parfaitement su nous faire comprendre que la solitude lui était intolérable. Des livres déchiquetés, des feutres dégoulinants sur le parquet, des portes défoncées, des pots de fleur renversés, des matelas éventrés… Nous avions peu d'affaire dans la maison et c'est tant mieux. Avec lui, nous en avions toujours un peu moins. L'ennuis et la panique le prenait, et s'en était fini de l'ordre apparent. Il arrivait même parfois, dans sa folie, à se blesser.
Petit à petit, nous avons su nous absenter un petit peu sans revenir avec la maison saccagée. Des astuces. Une cage de transport pour le maintenir loin de tout, un petit enregistrement de la loutre et de moi pour le garder calme et serein en notre absence. Il fallait faire très attention à ne jamais garder aucun objet proche de sa cage car il trouvait toujours le moyen de l'attraper pour en faire des confettis (quitte à se blesser le museau !). Des jeux toujours plus longs pour le fatiguer. Des sorties. Du dressage. Mais en fin de compte, nous n'avions jamais vraiment régler le problème.
Jedi ne sait pas être seul.
Sans nous, il devient fou.
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Comment ne pas s'attacher ? Il est tellement miiiignoooon ! |
Je me souviens très bien de ce jour où j'avais décidé que s'en était trop : il ne dormirait pas avec nous cette fois. Nous avions depuis plusieurs jours abordé une séparation en douceur. Les choses s'était bien passées mais était venu le moment pour nous de fermer la porte entre lui et nous. De le laisser pour la nuit dans une pièce, et l'Explorateur et moi dans une autre. François n'était pas présent ce soir là, c'était à moi de coucher la bête. Bête plutôt intelligente qui avait très bien compris ce qui se tramait pour la nuit. Il s'était couché sur notre lit (chose qui est notée interdiction absolue pour lui !) et refusait obstinément d'en sortir. Je l'avais déjà poussé plusieurs fois mais à chaque fois il revenait sur le lit avant que j'ai le temps de l'attraper et de le diriger dans sa pièce. Je m'énervais. Il s'énervait aussi. Cette histoire allait mal finir… Jedi était encore petit à ce moment là, mais il était déjà plus fort que moi.
Ce que j'ai fait ce soir, je ne sais pas très bien si c'est bien ou mal. Toujours est-il que ça a fonctionné. J'ai pris un vaporisateur d'eau pour les plantes et j'ai visé mon chien avec jusqu'à ce qu'il décide de fuir dans la pièce où il devait dormir. Ce fut une scène assez loquace. Moi, avec mon petit vapo, courant après un chien qui se carapate comme il peut à travers toute la maison…
Une fois qu'il fut sans sa pièce, nous ne l'avons plus entendu de la nuit. Et nous n'avions plus eu le moindre problème pour le coucher.
Cette fois là, j'ai usé de violence et d'intimidation pour éduquer mon chien. Je n'en suis pas fière, pas fière du tout même, mais je me suis trouvée comme les parents qui ne savent pas faire autrement avec leurs enfants. Je ne savais pas comment faire, et je ne le sais d'ailleurs toujours pas.
J'ai toujours su qu'il y avait un problème avec Jedi. Un chien qui se met véritablement dans tous ces états dès que ses maîtres s'absentent, ce n'est pas normal. Nous ne lui demandions pas de rester toute la journée seul, toute la journée à s'ennuyer sans nous mais seulement d'accepter de vivre à plus de 4 mètres de ses maitres. Je pense que ce n'est pas trop demander à un chien de bientôt deux ans…
On pourrait dire qu'il me menait par le bout du nez ce chien. Ne me laisse pas seul, sinon je casse la baraque et je me rends malade. J'alerte les voisins et je te fais culpabiliser pendant des jours et des jours. On pourrait effectivement penser les choses de cette façon. Et pourtant, nous avions un chien assez bien dressé. Qui sait respecter les règles de la maison. Qui attend gentiment qu'on lui dise « Ca y est, tu peux te jeter sur ta gamelle de nourriture… ». Qui s'assoit quand on lui demande. Qui apprend des ordres plus complexes aussi, comme de sauter un banc, puis de passer entre mes jambes, puis de s'allonger à mes pieds, puis de s'assoir et de faire un tour sur lui même et le tout avec le sourire. Et puis les histoires de dominants/dominés, je n'ai jamais accroché. Ca ne fait pas parti de mon monde.
Mais nous n'avons jamais su comment faire pour régler ce problème. Eduquer un chien, ce n'est pas seulement lui apprendre deux ou trois tours, c'est faire en sorte qu'il partage une vie sereine et équilibrée avec ses maîtres. Et ça, ce n'était franchement pas réussi.
Alors quand nous passons plusieurs nuits dans le camion et que mon très cher canidé m'empêche de dormir plusieurs nuits de suite… tu vois ? Parce qu'il reste une place pour lui au pied de notre lit et que c'est franchement mieux que de rester dehors… je me suis fâchée. Je me suis fâchée et j'ai surtout compris.
Si mon chien était comme ça, incapable de rester autonome une ou deux heures d'affilées, c'était entièrement de ma faute. Comme il est toujours dans mes pattes, je suis aussi toujours dans les siennes. Au moindre sifflement de sa part, je vais m'assurer que tout va bien pour lui. J'ai peur qu'il ait faim. Qu'il ait froid. Qu'il s'ennuie. Qu'il oublie quelque chose qu'on lui a appris. Et de fil en aiguille, qu'il casse quelque chose.
Pourtant, c'est un chien adulte, rustique, intelligent, avec de bons réflexes naturels, que j'ai à la maison. Un chien qui s'endort dans la neige. Un chien qui peut courir des kilomètres et des kilomètres devant mon vélo. Un chien pas agressif pour un sou, mais avec des crocs aussi longs que mon petit doigt. Comme un loup, mais attentif à ma voix.
J'étais comme les mamans qui ne savent pas lâcher leurs bambins. Sauf que moi, c'était mon chien.
Alors cette semaine, j'étais résolue à couper le cordon. Est-ce qu'il reviendra toujours à mon pied ? Est-ce qu'il m'écoutera encore ? Est-ce qu'il m'aimera toujours ? Des questions que j'ai remis à plus tard. Pour que tout le monde se mette bien dans ses baskets. On verra bien. Le principal dorénavant, c'est qu'on aborde une relation vraiment équilibrée.
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Il se prépare pour la course… |
Ce soir-là, le soir où les choses se sont faites, Jedi dormait dans sa cabane à l'extérieur du camion. Sans cela, il grattait contre la carrosserie jusqu'à ce qu'on lui permette de rentrer… Et Jedi avait bien compris que lorsqu'il grattait le fond de sa cage, cela me réveillait. Et il me réveillait à intervalles réguliers, jusqu'à ce que je cogne doucement contre la vitre et que je lui dise : "Roh, dodo maintenant !" A intervalles parfaitement réguliers, il m'entendait et il se recouchait paisible. Et moi, je mettais longtemps à me rendormir…
Et puis je suis sortie le voir. Mais qu'est-ce qui n'allait pas à la fin ? Je l'attache au camion et je positionne sa cage contre la carrosserie pour protéger notre camion de ses attaques. Et il pleure à n'en pas finir. Il cogne un peu le camion pour me réveiller. Il pleure encore. Mon coeur battait la chamade. J'avais peur qu'il finisse par casser quelque chose. Je l'entendais pleurer. Il était impossible de dormir dans ces conditions.
Alors je suis ressortie. C'est aujourd'hui, me suis-je dit. C'est aujourd'hui ou jamais.
Et je me suis fâchée. Rouge et noir. J'ai crié sur lui. J'ai dit des gros mots (oh my God !). J'ai tapé contre sa cage. J'ai répété maintes et maintes fois ce mot qu'il comprend : Non, non, non et non ! J'ai crié encore. Il fallait me voir. En furie. Sous la lune. Au milieu d'un champ. A crier contre un chien qui ne comprenait rien à ce que je disais.
Il a penché la tête sur le côté par intérêt. Il a senti mes mains. (mes mains ont-elles une odeur spéciale quand je suis en colère ?) Et quand j'ai ouvert sa cage, il est entré dedans. J'ai fermé sa porte et je suis allée me coucher.
Je l'ai entendu pleurniché quelques secondes et puis ce fut le silence.
Je vais tout vous avouer. Dans ce silence, je me soudain demandée s'il allait bien… Comment ça se fait qu'il ne dit plus rien, mon chien ?
Et puis je me suis retenue d'ouvrir la fenêtre pour voir ce qu'il faisait. J'ai fermé les yeux. Et j'ai dormi.
Depuis, je l'ai laissé plusieurs fois seul dans la maison. Plusieurs fois seul près du camion. Plusieurs fois détaché lorsque nous étions arrêtés dans un lieu isolé. Tout n'est pas parfait, évidemment. Cette nuit je l'ai laissé dormir en dehors de sa cage et nous avons trouvé des traces de pattes sur la carrosserie ce matin. Mais il n'a pas fait de bruit. Il n'a pas gratté. Il n'a pas voulu me réveiller.
Oui, je n'ai rien fait d'extraordinaire. J'ai crié mon angoisse, ma fatigue, toutes les pressions que je me mettais sous la lune. Et j'ai décidé d'en finir avec cette relation épuisante.
Et mon chien devient un chien normal je crois.
J'ai coupé le cordon.
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Visite de Colmar avec le loulou. |