Le château de Falaise, lundi 1er Aout 8h30. |
Pendant deux ans tous les lundis matin à 8h30 j’étais en réunion de service. Nous étions entre 10 et 15 participants, nous avions entre 20 et 45 ans mais surtout nous étions cloisonnés entre les murs d’une salle de réunion.
La vie normale
Ce que je décris là me direz vous, c’est simplement le quotidien d’un cadre français ordinaire et qu’il n’y a pas de quoi s’en plaindre. Au contraire, au vu du contexte socio-économique actuel je devrais m’estimer heureux de blablableu… Et si malgré tout, ça ne me satisfaisait pas complètement, et si moi ce que je voulais c’était de l’extraordinaire, de l’époustouflant, du beau et de l’inutile! Et si la question n’était pas "est-ce que j’ai le droit de me plaindre?" ou "Y a t-il plus malheureux que moi?" mais "qu’est ce que je veux vraiment faire demain?" et "est-ce que je vais pouvoir le faire?".
La confort quotidien du travail
Lorsque je demande à quelqu’un s’il n’a pas parfois envie d’arrêter de travailler, de faire une pause, j’ai généralement droit à deux types de réponse:
- il faut bien gagner sa vie (cette réponse mérite un article à elle toute seule, moi la vie c’est ma mère qui me la donnée et lorsqu'elle l'a fait elle ne m’a pas parlé de crédit sur 40 ans à rembourser),
- m’arrêter de travailler! Je ne peux pas, je ne supporterais pas de rester sans rien faire (ça tombe bien nous non plus).
L'étang de Nogent-sur-Vernisson, lundi 8 août 8h30. |
Ne pas travailler ce serait donc ne rien faire, et pourtant chaque jour est une nouvelle aventure depuis que nous sommes partis. Tel que je vois les choses, le travail permet l’installation d’une routine (j’avoue que lorsqu’on est infirmière ou pilote de ligne il peut s’agir de routines un peu originales). On choisit un métier, des horaires, un salaires, des congés, un contrat : on fait un choix. Une fois ce choix effectué on peut installer une routine et c’est normal. N’ayant qu’un temps libre limité, autant l’optimiser pour avoir le plus de temps libre de qualité. On se fait donc un petit plan du genre: "après le boulot je passe à la boulangerie avant de récupérer les enfants, je fais à manger en rentrant pour manger tôt et avoir la soirée pour nous" et la journée s’organise logiquement autour du noyau dur et inaltérable du travail et de ses restrictions horaires.
Mais peu importe la routine qu’on a choisie, qu’elle soit optimisée ou non (on peut aussi oublier les enfant à l’école, les récupérer à l’arrache et aller au resto parce qu’il n’y a plus rien à manger à la maison) une chose est sûre c’est que demain matin il n’y aura pas besoin de se poser de question, il faudra aller travailler.
Les blocs du 95.2, lundi 15 août 8h30. |
En soit ça n’est pas un mal si comme c’était le cas pour moi, le boulot est intéressant et les collègues sympa. C'est même très confortable. Ce qui est important ici, c’est que ni le choix ni la volonté n’ont de rôle à jouer. Le choix a été fait à la signature du contrat et la volonté de travailler à ce poste s’est faite à ce moment là et se maintient (grâce au salaire et aux congés) tout au long du contrat: c’est le jeu!
cdi : choix à durée indéterminée
Vous pourrez toujours exprimer votre volonté au travail mais elle restera limitée à un cadre. On pourra choisir d’être un manager plutôt cool, réservé, courtois, autoritaire mais on ne pourra pas choisir de se lever à 4h du mat pour voir si on est capable de boucler le sentier des 25 bosses avant midi.
Les allées du château de Versailles, lundi 22 août 9h30. |
L’avantage de cette vie c’est la tranquillité qu’elle apporte, on peut se laisser guider par la journée type sans tout remettre en question: se lever tôt, profiter du petit déjeuner en famille, aller au travail en vélo, faire un métier qu’on connait et qui nous plait, retrouver sa famille le soir et se coucher en sachant de quoi sera fait demain. C’est reposant mais on ne choisit plus, on n’exerce plus sa volonté.
1 contrat = 1 choix les autres décisions ne sont que des variantes découlant de ce choix initial (si vous avez signé un CDI vous venez peut-être de prendre 35 ans sans le savoir).
Lorsqu’on prend la décision de choisir sa vie au jour le jour c’est un CDD d’une journée qu’on signe tous les matins, faire preuve de volonté n’est plus une option!
A posteriori j’étais heureux
Souvent l’appréciation du bonheur, lorsqu’il n’est pas fulgurant, ne se fait qu’à posteriori. En gros, on ne trouvait pas notre situation exceptionnelle mais maintenant qu’on s’en prend plein la tronche on se dit qu’on n’était pas si mal loti et que c’était la belle époque (et bim si tu rajoute "j’étais jeune" t’es taxé de vieux con dans la foulée). Tout est affaire de comparaison et lorsqu’il reste diffus le bonheur est donc rarement apprécié en instantané.
De mon côté j’aurais tendance à militer pour une prise de conscience immédiate du bonheur et pourtant… Pourtant je suis confronté à ce que je pensais jusque là être un paradoxe. Depuis longtemps je me livre à un exercice lorsque j'hésite à faire quelque chose de cool mais un peu dangereux ou désagréable. Pour me motiver je me dis : "en ce moment au lieu de faire un truc cool tu pourrais être à un endroit pas cool ". Cette réflexion est née un matin d'été, en décembre, à 5h du matin, sur la côte Est australienne. L'eau était froide, le soleil se levait à peine MAIS au même instant je savais qu'il était 17h en France et que mes copains rentraient en classe de français pour leur 6ème cours de la journée, qu'il faisait nuit parce que c'était l'hiver et qu'il faisait encore plus froid qu'ici. Cette simple pensée me faisait sprinter jusqu'à l'océan.
Ce n'est pas tellement que je me comparais à eux mais lorsque j'étais à leur place, je me disais que si seulement je pouvais être ailleurs alors j'en profiterais à 100%. Et maintenant que j'y suis je pourrais passer à côté de cette occasion par simple manque de volonté!
Alors très chers collègues je pense à vous. Je pense à vous quand j'hésite à m'assoir dans une fourmilière pour gagner un pari, quand je dois me mettre à l'eau le matin, quand je cours jusqu'au cap de Flamanville ou quand je pédale à fond sur une 2 fois 2 voies parisienne pour aller au château de Versailles. Je me dis que je pourrais être avec vous, dans un environnement où il est interdit de courir et de sauter.
Etre contraint au choix
La vie active et la vie nomade ont toutes deux des avantages et des contraintes radicalement différentes. Je constate que les contraintes de la seconde me sont, pour l'instant, plus supportables. L'une des principales c'est que pour être heureux dans une vie nomade il faut jouer le jeu. Dans cette vie il n'appartient qu'à moi d'exercer ma volonté. Si je ne saute pas, si je ne plonge pas, si je ne cours pas, ça ne sera pas la faute d'un contrat que j'ai signé ni d'un horaire à respecter. Si je n'exerce pas ma volonté, cette fois, c'est que j'ai oublié de vivre, c'est que j'ai raté une occasion d'être heureux.
Et ça il en est hors de question.
Le bivouac du Restant du Long Rocher, lundi 29 août 8h30. |
Alors très chers collègues je pense à vous. Je pense à vous quand j'hésite à m'assoir dans une fourmilière pour gagner un pari, quand je dois me mettre à l'eau le matin, quand je cours jusqu'au cap de Flamanville ou quand je pédale à fond sur une 2 fois 2 voies parisienne pour aller au château de Versailles. Je me dis que je pourrais être avec vous, dans un environnement où il est interdit de courir et de sauter.
Etre contraint au choix
La vie active et la vie nomade ont toutes deux des avantages et des contraintes radicalement différentes. Je constate que les contraintes de la seconde me sont, pour l'instant, plus supportables. L'une des principales c'est que pour être heureux dans une vie nomade il faut jouer le jeu. Dans cette vie il n'appartient qu'à moi d'exercer ma volonté. Si je ne saute pas, si je ne plonge pas, si je ne cours pas, ça ne sera pas la faute d'un contrat que j'ai signé ni d'un horaire à respecter. Si je n'exerce pas ma volonté, cette fois, c'est que j'ai oublié de vivre, c'est que j'ai raté une occasion d'être heureux.
Et ça il en est hors de question.
J'aime ta façon de voir les choses, ça me parle complètement. Il faut parfois du temps pour se libérer des chaînes qu'on croit obligatoires, et arriver à se convaincre qu'en fait non c'est faux de dire qu'"on a pas le choix"! Bravo d'y être parvenu, je suis admirative :)
RépondreSupprimerMerci mais à vrai dire, nous n'avons fait aucun effort pour nous libérer des ces fameuses chaînes. Il y a longtemps que nous avons réalisé qu'elles n'existaient pas réellement. Rien est imposé et après quelques centaines de milliers d'années d'humanité nous pouvons encore tout inventer, réinventer. Ca nous l'avions compris. Partir, nous y pensions depuis quelques mois mais le choix de partir c'est fait en à peine une semaine et sans la moindre inquiétude. Ce dont je parle dans cet article n'est pas tant de notre choix de vie que de ce qu'il implique. Il impose de choisir notre vie tous les jours, continuellement. C'est comme de comparer un pilote de F1 à un pilote de rallyes, le premier doit exceller dans la routine des circuits qu'il connait tandis que le second doit s'adapter et performer sur un nouveau terrain à chaque course.
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