Les phrases viennent à petits pas. Le français éclate comme des bulles parmi les signes et le mime. Je apparait timidement. Ce qui est à moi mue et prend doucement la couleur du désir. La politesse est claire, les sentiments quant à eux prennent leur temps pour monter en netteté. Dans ce langage naissant, je vois aussi la précision de ses pensées, de ses souvenirs, de sa volonté. Ce qui était encore si discret que certains l'auraient décrit absent ose enfin se montrer dans le monde physique. Ses idées ne sont plus qu'à elle, elle nous les partage.
L'Explorateur me dit doucement : "C'est fou qu'elle se souvienne de tout !", et moi je me retiens. Je sais combien l'admiration me fait de peines et je ne voudrais pas que la Loutre soit touchée par cette malédiction. Une essence. Une essence, quelle qu'elle soit, n'attire pas l'admiration. Non, il y a trop de jugements dans l'admiration. Et puis il y a ce que l'on en fait. Une armoire ? Une sculpture ?
C'est amusant les idées reçues que l'on peut avoir. Ces fameuses cases dans lesquelles personne ne veut entrer, et bien voilà que j'en ai ouvert un couvercle en grand et que j'ai bondi dedans. Ce n'est pas ce que l'on croit. Sauter à pieds joints dans une case vous libère plus que vous enferme. Parce que cette case, c'est un peu de moi quand même et je me suis vite aperçue que la case est transparente. Moi, je ne change pas, un adjectif de plus ou de moins quelle importance, mais le monde vu à travers les vitres de la boîte change de forme. Il se déforme. Ou se reforme, comme un myope met pour la première fois des lunettes sur le bout de son nez. Je me souviens très bien de cela. Ca m'a rappelé combien les nuages étaient beaux, dentelés et fluides dans leur ciel.
La vie se meut selon une logique contre-causale. Ce canapé en bois que l'Explorateur nous avait construit était bien destiné à remplacer le plancher pourri du combi. Je refais doucement ma vie, année après année tout s'explique. Mes amitiés, mes amours, mes difficultés, mes intérêts… Je renoue avec mon enfance, que j'avais oubliée parce qu'elle n'était pas dans les normes. Evidemment que j'étais ce que je suis. Tout le monde le savait, sauf moi. Maintenant, je participe avec les autres à ma propre analyse. J'ai parfois l'impression d'avoir été l'idiote de service, celle qui ne comprenais rien à rien. Rien aux autres, rien à elle-même. L'avenir prévoit d'être plus équitable. Maintenant, je sais. Maintenant je suis de moins en moins le stéréotype de moi-même. Ce qui se voyait tant parce que je ne savais pas, parce qu'il fallait que ça reste secret à ma conscience, disparait. Je deviens complètement normale.
Alors la case dans laquelle il ne faut pas s'enfermer, je n'y crois plus. La case est une porte ouverte vers la liberté. Elle ne rassure pas. Elle ne formate pas. Elle soulage notre propre identité : aujourd'hui j'ai pleuré dans les bras d'une inconnue et je n'ai pas eu peur. Non, ça me consolait alors je ne me suis pas posée plus de questions que cela. Aujourd'hui j'ai reçu le droit de ne pas réussir, d'être touchée et malmenée par les événements, d'être sensible, d'avoir trop d'idées à la fois. On ne m'a pas repoussée, on m'a prise dans les bras. Et je suis restée telle que je suis, je me ne suis pas disloquée ni vaporisée, je n'ai pas eu de mal à me retenir. La case, la case n'avait plus besoin de preuves.
Je n'ai plus besoin d'y penser à chaque seconde. C'est comme si je n'étais plus ce que je suis. Et ma fille qui n'a rien d'un prodige mais qui fait peur parfois aux autres mamans est comme nous : elle n'est pas ce qu'elle est.
Elle est Elle.
L'Explorateur me dit doucement : "C'est fou qu'elle se souvienne de tout !", et moi je me retiens. Je sais combien l'admiration me fait de peines et je ne voudrais pas que la Loutre soit touchée par cette malédiction. Une essence. Une essence, quelle qu'elle soit, n'attire pas l'admiration. Non, il y a trop de jugements dans l'admiration. Et puis il y a ce que l'on en fait. Une armoire ? Une sculpture ?
C'est amusant les idées reçues que l'on peut avoir. Ces fameuses cases dans lesquelles personne ne veut entrer, et bien voilà que j'en ai ouvert un couvercle en grand et que j'ai bondi dedans. Ce n'est pas ce que l'on croit. Sauter à pieds joints dans une case vous libère plus que vous enferme. Parce que cette case, c'est un peu de moi quand même et je me suis vite aperçue que la case est transparente. Moi, je ne change pas, un adjectif de plus ou de moins quelle importance, mais le monde vu à travers les vitres de la boîte change de forme. Il se déforme. Ou se reforme, comme un myope met pour la première fois des lunettes sur le bout de son nez. Je me souviens très bien de cela. Ca m'a rappelé combien les nuages étaient beaux, dentelés et fluides dans leur ciel.
La vie se meut selon une logique contre-causale. Ce canapé en bois que l'Explorateur nous avait construit était bien destiné à remplacer le plancher pourri du combi. Je refais doucement ma vie, année après année tout s'explique. Mes amitiés, mes amours, mes difficultés, mes intérêts… Je renoue avec mon enfance, que j'avais oubliée parce qu'elle n'était pas dans les normes. Evidemment que j'étais ce que je suis. Tout le monde le savait, sauf moi. Maintenant, je participe avec les autres à ma propre analyse. J'ai parfois l'impression d'avoir été l'idiote de service, celle qui ne comprenais rien à rien. Rien aux autres, rien à elle-même. L'avenir prévoit d'être plus équitable. Maintenant, je sais. Maintenant je suis de moins en moins le stéréotype de moi-même. Ce qui se voyait tant parce que je ne savais pas, parce qu'il fallait que ça reste secret à ma conscience, disparait. Je deviens complètement normale.
Etre normale sans être ordinaire : enfin comprendre la différence. |
Alors la case dans laquelle il ne faut pas s'enfermer, je n'y crois plus. La case est une porte ouverte vers la liberté. Elle ne rassure pas. Elle ne formate pas. Elle soulage notre propre identité : aujourd'hui j'ai pleuré dans les bras d'une inconnue et je n'ai pas eu peur. Non, ça me consolait alors je ne me suis pas posée plus de questions que cela. Aujourd'hui j'ai reçu le droit de ne pas réussir, d'être touchée et malmenée par les événements, d'être sensible, d'avoir trop d'idées à la fois. On ne m'a pas repoussée, on m'a prise dans les bras. Et je suis restée telle que je suis, je me ne suis pas disloquée ni vaporisée, je n'ai pas eu de mal à me retenir. La case, la case n'avait plus besoin de preuves.
Je n'ai plus besoin d'y penser à chaque seconde. C'est comme si je n'étais plus ce que je suis. Et ma fille qui n'a rien d'un prodige mais qui fait peur parfois aux autres mamans est comme nous : elle n'est pas ce qu'elle est.
Elle est Elle.
Génialissime texte qui touche profondément et parle.
RépondreSupprimerMerci à toi :-)
Oh non : merci à toi pour ce commentaire qui me réchauffe le coeur ! Grâce à toi, ce message ne tombe pas entre les mains de l'ignorance. Je suis touchée d'avoir partagé ce texte avec toi.
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