C. regarde la fenêtre, derrière le bureau. Le soleil frappe délicatement le rebord gauche, les rideaux de cotons frôlent à intervalle régulier cette marque de lumière. Les volets sont bleus éclatants, cette lumière, ce blanc vaporeux, ce bleu pétillant, ce jaune clair comme l'hiver, la réconfortent.
“Alors, dites moi pourquoi venez-vous ici.”
Les couleurs pouvaient peut-être ressembler à ça… |
Elle avait vu comment cette dame disait bonjour. La psychologue ne s'avançait pas vers ses patients, elle les laissait venir. Alors C. avait joué le jeu. Elle s'était approchée comme convenu, le sourire au lèvre, et lui avait serré la main avec assurance. Le jeu, elle ne veut plus le faire. Elle veut découvrir la vérité, enfin. Elle ne veut pas être quelqu'un, elle veut être elle-même. C'est d'ailleurs ce qui l'amène ici.
“Je ne sais pas comment vous dire. Vous voulez une version longue ?”
“Dites moi clairement.”
Sans prévenir, la gorge de C. se serre. Elle va pleurer, elle qui était venue ici de plein grès, qui s'était levée ce matin de bonne humeur, sûre de son choix… Elle va pleurer. Elle dit les mots, rapidement, clairement. Et les larmes coulent.
“Pardon. Je m'étais dit que je ne pleurrais pas. C'est ridicule, je ne suis même pas triste.”
La psychologue lui tend un paquet de mouchoirs. C. n'aime pas ça. Elle ne voulait pas pleurer et ces mouchoirs lui en donne le droit. Ces mouchoirs banalisent ses larmes. Ces mouchoirs lui disent : "vos larmes sont naturelles."
C. ne veut pas en rester là. Elle veut comprendre. Elle détaille.
“C'est récent vous savez. C'est une question que je me suis toujours posée. Mais jamais avec la même forme. Elle a évolué avec moi. Petite, je pensais avoir des pouvoirs magiques…”
C. continue, les larmes se taisent. Sa voix ne tremble pas, elle n'a jamais tremblé. Alors pourquoi ces larmes ? Elles n'ont pas de sens, c'est encore une de ses inventions. Encore un rôle. Encore un mensonge. Et ses mouchoirs qui ne révèlent pas la supercherie. C. se sent coincée.
La psychologue pose ses questions doucement. Elle prend son temps. Elle les choisit. Comme ses rideaux qui oscillent toujours imperceptiblement. Ils ont été bougé il y a peu. Comme ses livres posés sur le bureau à côté de la patiente, ils ont été sélectionnés. Mais en même temps, tout cela se veut rassurant. Il n'y a pas de mots de trop. Il n'y a pas de phrases sans volonté.
C. répond à ses questions. Elle ne veut pas réfléchir pour répondre. Elle dit ce qu'elle sait. Elle a réponse à tout. Comme un voleur qui a prévu ses alibis. "Dites moi ce que je veux entendre." semblent dire ses réponses. Mais elles veulent leurs intentions discrètes. C. a peur que ça se voit. Elle voudrait que ça se voit. L'entrevue continue.
“Êtes-vous dépressive.”
“Oh ! Pas du tout !” C. sourit. La psychologue rit à son tour. Un lien se crée.
“Pourquoi doutez-vous ?”
“Parce que tout le monde se reconnaît dans les profils.”
“Oui, c'est vrai. Même moi pendant mes études quand j'étudiais les profils je me disais : "Oh, je suis ça, et puis j'ai de ça aussi." ”
“Tout le monde voudrait être quelque chose. Je voudrais éviter ça, je voudrais être moi.”
Les questions ont fait de la place à d'autres interrogations. Les réponses viennent toujours aussi facilement.
“Vous êtes hypersensible.”
Pour une fois, C. ne sait pas quoi dire.
“Qu'entendez-vous par là ?”
“Et bien vous êtes très intuitive, n'est-ce pas ? D'après ce que vous me dites…”
La psychologue semble soudain hésiter. C. a peur de trop la troubler. Elle dit une bêtise pour alléger la situation :
“Vous me voyez pleurer ici, mais dehors ce n'est pas le cas. Je pleure rarement.”
La psychologue reprend pied.
“L'hypersensibilité c'est différent. Vous êtes une personne qui a beaucoup d'intuition.”
C'est curieux comment C. refuse d'entendre cette phrase.
“Oh vous savez, je n'ai pas réponse à tout. Il y a des choses que je ne sais pas. Il y a des choses que je ne comprends pas. Je n'ai pas une intuition omnisciente.”
“Mais, est-ce que vos avis changent une fois qu'on vous a présenté les choses d'une autre façon ?”
“Non. Je ne me trompe… (rarement ?)… jamais.”
Elles passent à autre chose. La psychologue l'interroge sur ses amitiés.
Et puis finalement l'entrevue se ferme. C. sort son chéquier. La somme la surprend. Ce n'est pas exorbitant.
“Votre problème n'est pas seulement intellectuel. Il y a autre chose.”
C. signe son chèque et le tend à la psychologue. Le rendez-vous prochain est fixé. Pour un sondage. Le mot la fait rire. La psychologue s'est senti obligée de préciser ce qu'elle voulait dire. L'idée du sondage rassure C. mais ne la satisfait pas vraiment. La psychologue commence à se lever.
“Quand vous dites qu'il y a autre chose, est-ce quelque chose dont je n'ai pas conscience ?”
La question trouble un instant la psychologue. Elle cherche ses mots. Elle veut rester juste.
“C'est davantage un problème de… personnalité. Vous êtes à la recherche de votre propre personnalité.”
“A dans deux semaines madame. Merci. C'est cette porte-ci ?”
Mais pourquoi pose-t-elle cette question ? Elle a déjà sa réponse. Elle a vu le garçon qui était passé avant elle sortir par l'autre porte. Les patients se croisent.
“Non, c'est celle-ci. C'est vrai qu'il y a beaucoup de portes ici.”
Non, ce n'est pas vrai. Il n'y a que deux portes devant moi, et je sais par laquelle je suis entrée. Mais je m'excuse, c'est moi qui ai commencé à reprendre mon rôle. A vous poser une question par automatisme. Il n'est plus temps de choisir ses mots.
Je sors dans la rue, dans la vraie vie. Je suis à la recherche de ma propre personnalité, il est vrai que je ne sais pas me situer. Mais ce sondage, va m'aider. J'en suis certaine.
Intéressant ce rendez vous.
RépondreSupprimerC'est parfois difficile de se demander qui on est réellement, ce qui est vrai et ce qu'on s'est forgé comme carapace, comme façade pour cacher nos vrais émotions.
Tu ne rentres pas cette case, peut être ne rentres tu d'ailleurs pas dans une case en particulier. Mais ce n'est pas plus mal, tu es toi, tu es unique et personnellement c'est ce que j'aime dans ce que je découvre de toi au travers de ton blog.
Merci pour ton commentaire !
SupprimerJe ne pense pas qu'on puisse tout entier rentrer dans une case, comme tu dis. Mais nous ne sommes pas absolument uniques. Nous avons des points communs avec d'autres personnes qui elles-mêmes auront des points communs avec d'autres qui ne nous ressembleront pas du tout…
Je suis d'accord, il ne faut pas trop s'attacher à entrer dans une case. L'être humain est complexe, multiple, une case (et ce, quelque soit sa taille) sera toujours trop petite pour lui !