Ecrire a toujours fait parti de moi. Même lorsque je ne savais pas écrire. J'invente, je crée, je transmets d'une manière à ce que l'autre ne puisse que m'entendre, jusqu'au bout. Et puis je le laisse posséder l'idée à son tour. Il en fera ce qu'il veut, mon travail est terminé lorsque le dernier mouvement a été transmis dans toute son amplitude. J'aime ce métier au plus profond de mon coeur et pourtant, si vous lisiez mon CV, jamais vous ne vous seriez dit que je pouvais l'exercer. Car, voyez-vous, j'ai fait des mathématiques.
"Et toi, tu travailles où ?
- Moi, je suis écrivain, je travaille principalement chez moi.
- Ah bon ? C'est étrange d'être écrivain après avoir fait maths spé.
- Non, pas vraiment. C'est une bonne formation pour être écrivain, vous savez."
Analysons un peu mes études. Au lycée général, comme en classe préparatoire, j'avais toujours littérature-philosophie et mathématiques dans mon emplois du temps. Que faisions nous en lettres ? Nous étudions des textes. Nous les analysions, nous les décortiquions. Nous repérions les figures de style, les intentions de l'auteur. Et que faisions nous en mathématiques ? Nous créions. Nous imaginions des mondes étrange. Parfois certains étaient peuplés d'une infinité d'êtres parfaitement déterminés et distincts, possiblement descriptibles en quatre dimensions. Ses êtres étaient capables de s'attrouper, ils étaient également capables de reproduire des chorégraphies linéaires. Les attroupements et l'ensemble de motifs appartenaient encore à leur monde ?
Et à votre avis, là je fais quoi : lecture, maths ou écriture ? Mes "fans" sauront où trouver la réponse… |
Les mathématiques me faisaient entrer dans des univers fantastiques. Je devais déplacer les personnages, les tordre, leurs faire vivre des aventures incroyables afin de faire ressurgir leur personnalité. Et puis je touchais à leur monde. J'en découvrais les limites, je l'agrandissais, je le réduisais à l'infiniment petit, et les petits êtres répondaient à la perfection à chacune de mes expériences. Parce que les entités mathématiques ont cela de magique : il n'est pas possible d'oublier la moindre caractéristique, nos petits sujets en perdraient leur valeur. Il faut faire avec, se jouer d'elles et en comprendre les conséquences. On manipule un monde miniaturisé pour qu'il tienne sur les lignes d'un papier, un monde dont il faut respecter chacune des lois. Les mathématiques ne sont pas la répétition sportive d'un exercice, c'est davantage se tenir dans le rôle d'un créateur respectueux et équitable.
Petros Papachristos : "[…] En réalité, l'attitude psychologique
d'un véritable mathématicien
est plus proche de celle d'un poète ou d'un compositeur,
c'est à dire de quelqu'un qui a affaire avec la création de la Beauté,
qui recherche l'Harmonie et la Perfection. […]",
écrit par Apostolos Doxiadis, son neveu.
La création en français m'a longtemps posé problème. Parce que je n'avais pas encore compris que ce que je pouvais parfois si bien faire en mathématiques, devait être aussi fait en français. Je n'avais pas compris qu'écrire devait être comme de prouver la conjecture de Goldbach : un travail de l'Univers, creuser jusqu'à rencontrer la moelle du monde, sans temps limité, sans trouver jamais le point final. Mais créer sur son passage, avec perfection, ne pas faire de fausses notes, tracer avec légèreté et plénitude un point de vue nouveau sur ce qui nous a toujours paru évident.
Ecrire est si proche des mathématiques. Comment peut-on encore s'étonner lorsque je raconte que j'ai étudié sur les deux tableaux ? Ce n'est pas une vue de l'esprit, ce n'est pas la gentille défense des mathématiciens contre leur réputation d'humains sans poésie, c'est une réalité que j'ai vécue et comprise bien tard. Non pas au détriment des mathématiques (ahah ! J'avais toujours un professeur sur le dos pour m'encourager dans cette voix), mais à celui de l'écriture.
L'une de mes amies a écrit récemment un article parlant de cette autre écriture justement. Ecrire c'est plutôt facile —comme de compter—, mais écrire pour créer c'est tout autre chose —comme de faire des mathématiques. Une phrase, un synonyme, une virgule, peut changer tout un univers, peut changer l'idée transmise, peut changer le mouvement d'un être qui, pris dans l'apesanteur de la poésie, dérivera jusqu'au bout du monde. Si bout il y a.
On lit, on ne se rend pas compte. On écrit parfois sans en avoir conscience. Et pourtant, ça se saurait si c'était si facile. Personne n'aurait alors peur des mathématiques.
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Céline.